Regard économique sur le Dossier de santé électronique du Québec (DSÉ / DSQ)
Updated on / dernière mise à jour : 12/09/2023
Étude incluse par l'auteur à un rapport collaboratif d'analyse sectorielle effectué à l'Université du Québec à Montréal, en 2007, dans le cadre d'un Séminaire sur les applications des technologies de l'information.
Robert Radford, M.A. ©MMVII
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D'ici les quelques années à venir, les organisations de soins de santé canadiennes se verront confrontées à augmenter leur productivité, et ce, en raison de demandes de plus en plus grandes de la part des patients mais aussi, et surtout, en raison de la décroissance prévue de l'enrôlement de nouveaux médecins [1]. Cette réalité aura, de facto, des impacts économiques majeurs, et ce, sur les finances du pays mais aussi celles des citoyens et des corporations. Heureusement, l'Internet ainsi que de nouvelles applications électroniques disponibles en ligne permettront au système de santé du Québec de maximiser son potentiel quant aux services rendus et augmenter l'efficacité de son fonctionnement, et ce, tout en économisant face à des coûts liés à la santé qui demeurent actuellement presque prohibitifs.
Les montants nécessaires afin d'assurer une offre de services de qualité par le biais de la télésanté sont élevés en raison de la grande diversité des transactions qui devront être offertes aux professionnels de la santé ainsi qu'aux citoyens. Ainsi, nous pouvons interpréter l'impact économique en considérant quatre grands postes de dépenses. Le premier poste concerne les coûts propres aux transactions des soins de santé, soit commander et livrer des tests de laboratoire, gérer les dossiers électroniques de la santé, assurer le transfert des données concernant les prescriptions pharmacologiques et mettre en place et assurer un support constant quant à la télémédecine et la télésanté. Le second poste de dépenses consiste à garantir les transactions dites administratives, notamment en ce qui concerne la validation des numéros des dossiers des patients et de mettre un système permettant de gérer les facturations liées au système d'assurance médicaments ou d'assurance maladie, entre autres. En troisième lieu, il ne faut pas négliger l'importance des coûts associés aux transactions effectuées localement par les représentants dûment mandatés afin de transiger avec le système électronique du dossier-patient : il faudra inscrire au système les nouveau-nés des hôpitaux, mettre sur pied des points de service qui pourront aider les individus qui s'y connaissent moins bien en technologie et avoir d'autres agents d'inscription dédiés aux visiteurs et autres individus qui n'auront droit à la couverture des frais de santé ou qui seront dans des situations particulières. Enfin, il faudra payer pour un réseau de communication fiable à la grandeur de la province, et ce, afin de permettre une accessibilité complète au système informatisé [2].
Ainsi, face à ces postes de dépenses nécessaires au bon fonctionnement du projet du dossier-patient, le gouvernement québécois se pose les mêmes questions que les administrations des autres provinces ou d'autres États occidentaux : « comment améliorer l'offre de services tout en limitant les coûts de façon à respecter le principe de l'abordabilité des soins de santé? » [3]. Afin de répondre à cette question sans mettre les finances publiques dans un cul-de-sac, le gouvernement du Québec a décidé d'investir un montant initial de 547 millions de dollars – dont environ 300 millions proviennent du palier fédéral – afin d'informatiser, d'ici 2010, tout le réseau québécois des services sociaux et de la santé. Selon le premier-ministre Jean Charest, cet investissement est tout à fait acceptable puisqu'il permettra aux professionnels de connaitre les profils pharmacologiques de leurs patients, et ce, alors même que l'« on estime à 7 à 10 le pourcentage des hospitalisations dues aux effets indésirables des médicaments »[4].
Mais quel est le coût réel d'un tel système et quelles seront les vraies retombées économiques? Les investissements initiaux du gouvernement québécois sont-ils trop ou pas assez élevés? Afin d'y voir plus clair, nous devons nécessairement nous comparer aux autres administrations publiques qui nous entourent. À cet effet, stipulons qu'en 2004, l'industrie électronique des soins de santé aux États-Unis était estimée à plus de 370 milliards de dollars, dont 348 milliards furent le fruit des transactions financières entre les entreprises (B2B : business to business) et 22 milliards découlèrent des transactions entre les entreprises et les consommateurs [5]. Afin d'établir une échelle de comparaison crédible, nous estimons le poids démographique du Québec face à son voisin américain à un ratio de 2.5 :100 et nous considérons une inflation de 2 annuellement entre 2004 et 2007. Selon un tel calcul, l'industrie propre au dossier-patient québécois serait, dans des circonstances hypothétiques similaires, d'un peu plus de 10 milliards de dollars en 2007 uniquement ou l'équivalent de 2.7 de son voisin américain, soit un marché très important qui, d'un point de vue strictement économique, requiert des investissements à la hauteur de ceux ayant été faits par le Parti libéral du Québec, sinon plus.
Le tableau suivant illustre, selon Symbion, quelques statistiques de 2003 quant à la diffusion du dossier patient en Amérique du Nord et en Europe [6]. L'on y distingue des variations nettes entre certains pays en ce qui touche les dépenses en technologies de l'information et des communications (TIC) ainsi que le taux de pénétration du dossier-patient dans les hôpitaux et dans les villes.
En analysant ce tableau, l'on constate que le Québec devrait s'inspirer, en partie, du modèle danois soit un projet qui permet de couvrir un tiers des clients dans les centres hospitaliers et plus des deux tiers des clients dans les centres urbains, et ce, en minimisant les dépenses particulières des TIC par rapport aux dépenses globales en santé. Cette comparaison permet aussi de constater que l'État québécois peut réaliser un projet de dossier-patient sans devoir hypothéquer les générations futures; en ce sens, l'optique du gouvernement québécois d'investir 547 millions de dollars sur trois ans afin de gérer adéquatement un marché de plus de 10 milliards de dollars est raisonnable mais à condition de présenter un projet qui aura été bien étudié, préparé selon des normes de qualité éprouvées et en évitant les pièges bureaucratiques usuels qui finissent par faire augmenter les coûts initiaux (l'on peut considérer ici le projet du métro de Laval ou celui du Stade Olympique de Montréal, notamment).
Si l'on regarde de plus près certaines organisations mondiales ayant développé les plus gros projets TIC, l'on peut également se satisfaire des sommes triennales allouées par le gouvernement québécois. Ainsi, le National Program for Information Technology de Grande-Bretagne a investi 11 milliards d'euros sur sept ans afin de couvrir 60 millions d'individus et le Veteran Administration Health Care coutera 2,6 milliards d'euros selon un plan quinquennal pour assurer 25 millions d'adhérents. Toutefois, il y a des modèles à éviter, dont le projet Kaiser Permanente américain qui, pour une population légèrement plus élevée que celle du Québec, totalisera des investissements de 2,3 milliards d'euros sur cinq ans, ce qui est une énorme somme en raison d'un nombre plus petit d'assurés [7].
Heureusement, certaines provinces canadiennes ont déjà implanté des dossiers-patients sur une base plus locale et le Québec devrait analyser ces derniers en profondeur afin d'être au fait de certains coûts. Jetons d'abord un regard sur l'économie propre à l'infrastructure de l'expérience saskatchewannaise (il s'agit d'une structure basée sur 4000 utilisateurs) [8] :
Selon ces données, s'il en coûte approximativement $ 2 429 000,00 pour un tel projet desservant 4000 clients, on peut alors extrapoler – de façon hypothétique, cela dit – qu'un projet similaire servant à servir environ sept millions de Québécois pourrait certainement engendrer des coûts tournants autour de $ 4 250 750 561,00. Un tel coût comprenant l'ensemble des besoins devra être considéré par le gouvernement québécois pour des prévisions économiques à très long terme, de même qu'une contribution citoyenne prélevée sur les impôts de ces derniers afin d'assurer le succès de l'opération. Toutefois, il faut aussi considérer que la Saskatchewan et le Québec n'ont pas nécessairement les mêmes besoins en termes socioéconomiques et il faudrait aussi examiner les entrées d'argent dans le système alors que ces dernières contribueront à rendre le système abordable.
En termes d'économie d'argent, l'utilisation des nouvelles technologies ont déjà fait leurs preuves. Par exemple, la répercussion de la télémédecine sur la cardiologie infantile au IWK Grace Health Centre et Dalhousie University à Halifax, en Nouvelle-Écosse, a permis d'économiser d'énormes sommes d'argent entre décembre 1987 et août 2000 : on y a « examiné la transmission écocardiographique au moyen d'un système vidéo à large bande à 45 Mbits/sec avec des circuits à fibres optiques dans le cadre de 616 études de soins de cardiologie infantile. La réduction des coûts était notable. Le coût du système se chiffrait à 45 000 $ […] alors que le coût de transmission était de 7 000 $; les économies, par contre, ont totalisé 54 000,00 $ […] »[9]. Cet état de fait prouve donc hors de tout doute que l'utilisation des nouvelles technologies sauve, à long terme, des montants forts importants. Ainsi, le Québec a tout avantage à utiliser également à son plein potentiel les technologies mises à sa disposition, surtout en ce qui concerne le projet du dossier-patient québécois. Il s'agira d'une décision gouvernementale visant à économiser des fonds publics tout en assurant aux citoyens une qualité de service accrue et une efficacité impressionnante. Malgré des investissements onéreux, il faut aussi dire que le projet de dossier-patient aura aussi de nombreux avantages économiques, dont la création de centaines de nouveaux emplois, et ce, selon les données du modèle intersectoriel de l'ISQ.
Le Dossier de santé électronique préconisé par le gouvernement québécois est un projet technologique d'envergure qui s'inscrit dans une tendance d'informatisation des données médicales, et ce, à l'instar de nombreux pays occidentaux. Plusieurs intervenants seront appelés à utiliser le système, notamment les hôpitaux, les cliniques, les pharmacies, voire même les laboratoires, sans oublier tous les citoyens qui possèderont une carte d'assurance maladie, entre autres. De plus, le projet permettra d'accéder en temps réel aux données et contribuera à accélérer les divers processus propres aux actes médicaux sans oublier qu'il permettra des économies financières substantielles, suscitera de nombreux investissements et stimulera la création de nouveaux emplois reliés directement ou indirectement à la mise en place du dossier électronique, à sa gestion et à son utilisation.
L'utilisation accrue des nouvelles technologies sera à la base de l'amélioration de notre système de santé; ces dernières serviront à réagir rapidement lors de possibles propagation de pandémies et permettront d'éviter un grand nombre d'erreurs médicales. Toutefois, ce défi recèle également un bon nombre d'interrogations : est-ce que certains professionnels seront réfractaires face à l'application du dossier électronique? Est-ce que le dossier sera respectueux des considérations légales et éthiques et peut-il contrevenir aux principes actuels de la protection de la vie privée des citoyens? Quoiqu'il en soit, le dossier santé électronique demeure un projet novateur qui, une fois en fonction, sera l'objet d'un grand sentiment d'accomplissement pour l'ensemble des citoyens concernés, et ce, à condition que le gouvernement respecte un cadre budgétaire réaliste surtout en ces temps de crise économique et d'endettements successifs.
Quelques liens d'intérêt concernant ce sujet d'actualité :
Site officiel du Dossier de santé du gouvernement du Québec
Dossier Santé Québec – C'est le temps d'impliquer les cliniciens (Inforoute Santé du Canada, automne 2007)
Watchdog issues urgent call for electronic health records (The Globe and Mail, Sep. 27, 2010)
Dossiers de santé informatisés : économies de 436M$ (La Presse Canadienne, 6 octobre 2010)
Réseau québécois de la santé : Bolduc promet une informatisation complète du réseau de la santé d'ici cinq ans (Radio-Canada, 22 mars 2011)
Robert Radford, M.A. © 2007, 2023
Trente éléments fondamentaux d'un dossier de santé électronique éthique et efficace
- Confidentialité – Les dossiers de santé électroniques doivent être protégés par des mesures de sécurité pour empêcher tout accès non autorisé aux informations médicales des patients.
- Consentement éclairé – Les patients doivent donner leur consentement éclairé pour la collecte, l'utilisation et la divulgation de leurs informations médicales.
- Accès rapide – Les dossiers de santé électroniques doivent être facilement accessibles aux professionnels de la santé autorisés pour garantir une prestation rapide des soins.
- Précision – Les informations des dossiers de santé électroniques doivent être précises pour assurer des décisions éclairées en matière de soins.
- Intégrité – Les dossiers de santé électroniques doivent être protégés contre les altérations pour garantir leur intégrité.
- Interopérabilité – Les dossiers de santé électroniques doivent être conçus pour interagir avec d'autres systèmes pour une coordination des soins plus efficace.
- Fiabilité – Les dossiers de santé électroniques doivent être fiables pour garantir leur utilisation en toute sécurité.
- Accessibilité – Les dossiers de santé électroniques doivent être accessibles à tous les patients et professionnels de la santé pour une prestation de soins de qualité.
- Documentation complète – Les dossiers de santé électroniques doivent contenir une documentation complète des antécédents médicaux, des évaluations, des diagnostics, des traitements et des résultats des tests.
- Gestion des risques – Les dossiers de santé électroniques doivent aider à réduire les risques d'erreurs médicales et de pratiques dangereuses.
- Conformité réglementaire – Les dossiers de santé électroniques doivent être conformes aux réglementations en matière de protection des renseignements personnels et de sécurité des données.
- Traçabilité – Les dossiers de santé électroniques doivent permettre de tracer toutes les modifications apportées aux informations médicales du patient.
- Coûts raisonnables – Les coûts liés à la mise en œuvre, à l'utilisation et à la maintenance des dossiers de santé électroniques doivent être raisonnables pour éviter une charge financière excessive pour les patients et les professionnels de la santé.
- Formation continue – Les professionnels de la santé doivent être formés en permanence à l'utilisation des dossiers de santé électroniques pour garantir leur efficacité.
- Sauvegarde – Les dossiers de santé électroniques doivent être sauvegardés régulièrement pour prévenir toute perte de données.
- Réversibilité – Les patients doivent pouvoir récupérer leurs données personnelles de santé en cas de changement de fournisseur de soins de santé.
- Évolutivité – Les dossiers de santé électroniques doivent être évolutifs pour prendre en charge de nouveaux besoins et technologies.
- Transparence – Les patients doivent avoir un accès transparent à leurs dossiers de santé électroniques.
- Confidentialité du personnel – Les professionnels de la santé doivent respecter la confidentialité des données des patients auxquels ils ont accès.
- Service à la clientèle – Les fournisseurs de soins de santé doivent fournir un service à la clientèle de qualité aux patients pour garantir une utilisation efficace des dossiers de santé électroniques et améliorer l'expérience des patients.
- Respect des droits des patients – Les dossiers de santé électroniques doivent respecter les droits des patients en matière de vie privée, de dignité et d'autodétermination.
- Utilisation éthique des données – Les données des dossiers de santé électroniques doivent être utilisées de manière éthique pour garantir la confidentialité des patients et éviter les discriminations.
- Accessibilité pour les personnes handicapées – Les dossiers de santé électroniques doivent être conçus pour être accessibles aux personnes handicapées afin de garantir leur participation à la prestation des soins.
- Disponibilité de l'information – Les dossiers de santé électroniques doivent permettre une communication fluide et en temps réel des informations médicales entre les professionnels de la santé pour une prise en charge optimale des patients.
- Prise en charge continue – Les dossiers de santé électroniques doivent faciliter une prise en charge continue des patients pour améliorer la qualité des soins et la satisfaction des patients.
- Traçabilité des accès – Les dossiers de santé électroniques doivent permettre une traçabilité de l'accès et de l'utilisation des informations médicales pour renforcer la sécurité des données.
- Facilité d'utilisation – Les dossiers de santé électroniques doivent être faciles à utiliser pour les professionnels de la santé, afin de réduire les erreurs et les temps d'utilisation.
- Intégration des résultats d'examens – Les résultats d'examens médicaux doivent être intégrés directement aux dossiers de santé électroniques pour une prise en charge rapide des patients.
- Coopération des patients – Les patients doivent être impliqués dans la gestion de leur dossier de santé électronique pour améliorer la qualité des soins et leur expérience.
- Développement continu – Les dossiers de santé électroniques doivent être continuellement développés et améliorés pour répondre aux besoins changeants des patients et des professionnels de la santé.
Références
1. PKI Business Guide for Health Public Key Infrastructure. National PKI Framework for Health Project. 30 juin 2001. url : http://secure.cihi.ca/cihiweb/en/downloads/infostand_pki_e_BusinessGuide.pdf
2. Idem.
3. La Stratégie des 4A en Télésanté. Télésanté. 11 avril 2007. url : http://telesante.netcipia.net/xwiki/bin/view/Main/StratE9gie+des+4A
4. Martin Ouellet, « Le dossier de santé électronique sera mis en place au Québec », dans Le Devoir. 26 avril 2006. url : http://www.fcqged.org/pdf/Le_Droit_26-04-06.pdf
5. National PKI Framework for Health Project. Op.cit. url : http://secure.cihi.ca/cihiweb/en/downloads/infostand_pki_e_BusinessGuide.pdf
6. Jean-Pierre Thierry, Du dossier médical au dossier patient : évolution des concepts et conséquences pour sa mise en œuvre. 6 octobre 2004. url : http://www.symbion.fr/DPE.pdf
7. Idem.
8. National PKI Framework for Health Project. Op.cit. url : http://secure.cihi.ca/cihiweb/en/downloads/infostand_pki_e_BusinessGuide.pdf
9. Applications actuelles de la télésanté. Industrie Canada. 25 juin 2007. url : http://strategis.ic.gc.ca/epic/site/ict-tic.nsf/fr/it07545f.html